Mont Cenis : les pyramides de Napoléon

C’est une architecture étonnante. A 2 100 mètres d’altitude, la pyramide du Mont Cenis se détache face aux fortifications militaires et aux eaux turquoise du lac. Une pyramide au cœur des alpages ?

L’idée paraît improbable mais cet édifice qui abrite un musée et une chapelle est pourtant le lointain héritier d’un concours d’architecture lancé par… Napoléon Bonaparte.

Napoléon est passé plusieurs fois par le Mont Cenis. En 1805, il s’est par exemple retrouvé bloqué par la neige au-dessus de Lanslebourg. Il dû passer plusieurs jours à l’ancien hospice du Mont Cenis, alors dirigé par Don Gabet, pour reprendre des forces.

C’est dans ce contexte qu’il décida d’améliorer considérablement cette voie de passage stratégique pour ses troupes. Il fit réaliser la route actuelle qui va de Val Cenis à Suse et agrandir l’hospice. Le modeste bâtiment fut complément transformé et pouvait accueillir jusqu’à 2 000 soldats et 250 chevaux ! Napoléon avait même l’ambition de faire construire toute une ville et d’installer 5000 habitants sur ce plateau d’altitude.

Alors que l’Europe est un vaste champ de bataille, organiser un tel concours pour un monument au Mont-Cenis peut sembler incongru. Mais le projet était aussi pensé comme un stimulant dans le contexte politique très difficile pour Napoléon : une architecture de propagande au service de l’empire.

Malgré des délais extrêmement courts, les projets se sont accumulés. Des architectes français, italiens et hollandais ont planché sur le Mont-Cenis pour proposer des monuments aussi variés qu’extravagants.

L’époque napoléonienne est marquée par un engouement pour l’architecture monumentale. De nombreux architectes du concours s’inspirent de la campagne d’Egypte de Napoléon et proposent des pyramides gigantesques pour le Mont Cenis.

• Louis Combes, prix d’architecture de Rome en 1781, veut élever une pyramide en escalier d’une centaine de mètres surmontée d’une statue de Napoléon de 20m de haut ! Un édifice construit avec le matériel récupéré en creusant la montagne. Une technique pas si folle puisque c’est ainsi qu’a été construit l’énorme barrage qu’on voit actuellement au Mont Cenis.
• Giannantonio Selva, de l’académie de Bologne, propose une pyramide ornée de portiques inspirés du Parthénon d’Athènes et un intérieur rappelant le Panthéon de Paris.
• Abraham Van der Hart, architecte hollandais, conçoit plusieurs projets, dont une pyramide imposante entourée de colonnes antiques et coiffée d’une immense coupole ou, plus simplement, une caserne militaire avec en son centre une statue de l’Empereur.
• L’Italien Pasquale Belli propose lui un palais classique surmonté d’une coupole.
• Quant à Luigi Cagnola, il imaginait un immense bâtiment d’inspiration antique.

Ces projets de pyramides et d’architecture antique rappellent d’autres initiatives napoléoniennes, comme la pyramide envisagée à Montmartre ou celle dédiée à la Grande Armée à Paris.

Si certains projets sont totalement irréalisables, d’autres sont plus pragmatiques. Plusieurs architectes proposent des hospices, des écoles, ou encore des bâtiments militaires pour intégrer le Mont-Cenis dans une perspective de développement à long terme.

L’Italien Giuseppe Pistocchi, voulait par exemple construire une académie militaire pouvant accueillir 14 500 personnes dans un bâtiment circulaire de 6 étages.

Quant au Mauriennais Gastaud, “garde magasin des vivres de la guerre de Saint-Jean-de-Maurienne”, bien conscient des difficultés pour franchir le Mont-Cenis quand la neige est là, il voulait profiter des 25 millions pour construire une galerie couverte de 5,5 km de long avec 2 voies de circulation entre La Ramasse et la plaine Saint-Nicolas. Un tunnel pratique et utile, qui sera en partie réalisé quelques décennies plus tard pour abriter le chemin de fer Fell, même si sa réalisation à la poudre à canon et à la barre à mine risquait de prendre quelques années.